Philippe THUREAU-DANGIN

J’ai connu Philippe dix ans plus tôt, plusieurs amis nous invitant avec ferveur à nous rencontrer. Je me souviens ce premier déjeuner, des premières discussions, de tous ces atomes crochus. Entre nous, d’abord, la pudeur du paysan et celle de l’aristocrate. Ensuite, ces nombreux et longs après-midis au comptoir des cafés du quartier latin, au bureau-galerie rue du Regard, la porte ouverte, à deviser sur la géopolitique, l’économie, l’histoire intellectuelle, à nous confronter sur les avant-gardes, à parler de nos vies, à échanger, souvent, des livres.
Philippe m’incitait à lui dégoter des manuscrits non-identifiés, et une fois un projet accepté, il le poursuivait avec une grande constance. Nous avons donc œuvré ensemble, notamment pour l’édition des mémoires de Françoise Etchegaray autour des films de Rohmer, le dernier opus magnum du sociologue allemand Niklas Luhmann, ainsi que les grands poèmes métaphysiques de Marien Defalvard, Narthex.
Philippe savait percevoir la nouveauté, l’inédit, l’à-propos, permettait le sel et la subversion, à condition que triomphe le style. En homme de médias, de médiation, d’intégration, il s’inscrivait dans la tradition de ces fondateurs chrétiens-de-gauche post-Seconde guerre mondiale qui ont tant fait pour la (haute) culture de ce pays.
Philippe vivait en homme rare, soucieux de ses enfants, dans un bureau enrobé des céramiques de sa femme dont il était très fier et suivait de près la production.
Ces dernières années, l’on pouvait parfois lire dans son rire l’iconoclasme d’un esprit supérieur, ancien combattant de la presse et des idées, revenu de toutes ces ambitions, retrouvant ses élans situationnistes dans la fréquentation de jeunes esprits frondeurs et anachroniques. De cette escapade juvénile à Pithiviers, où il conduisait notre fanfare pour réaliser un documentaire surréaliste, nous gardons encore, à quelques-uns, le souvenir mémorable.
Derrière son classicisme pointait le début d’un anarchiste. Philippe était cet humaniste français, chrétien, du XVIIe siècle, mécène des arts et des lettres, méditatif, presque janséniste, expatrié dans une époque où le silence devenait suspect.
Philippe va beaucoup nous manquer.

Dimitri Laurent