Chère Momo,
Tu es partie et j’ai peine à y croire tant tu incarnais la force de vie et ton éternelle jeunesse apparente nous a sans doute fait croire que cela ne pouvait pas arriver.
Je me souviens encore des regards incrédules de mes camarades de classe à l’époque lorsque je te présentais, ponctués de « C’est vraiment ta grand-mère ? ». Et moi de répondre : « Oui, oui ! Même qu’elle fait de la gym ! ». Je vous laisse imaginer leur tête.
Il m’a même été rapporté une anecdote qu’un jour Papa recevait ses copains à la maison et que l’un d’entre eux, après que tu aies été présentée comme « Momo », demande : « Mais… elle est où ta mère ? »…
C’est sûr que tu n’étais pas vraiment dans la catégorie « grand-mère avec sa canne » et il aura fallu pas moins de 20 ans de maladie pour que tu t’y résolves, avec 5 arrière-petits enfants au compteur et moi qui réalise que j’ai aujourd’hui l’âge que tu avais quand je suis né…
Vertige du temps qui passe ! Et celui-ci a fini par t’emporter… Mais il n’emportera pas l’énergie et la joie de vivre qui te caractérisait. Quelques jours avant que tu nous quittes, tu me disais encore au téléphone : « Nous avons le sens de la fête dans la famille ! ».
Et ça, des fêtes, nous en avons fait. Je ne compte plus les Noëls passés rue des Marguettes et ce qui a fini par devenir une montagne de cadeaux avec l’élargissement de la famille (je crois que la dernière fois qu’on l’a fêté chez toi, la moitié de ton salon était remplie). Et que dire des anniversaires, devenus au fil du temps, de véritables orgies musicales !
Tu nous as surtout fait le plus beaux des cadeaux en prenant soin de nous, années après années, notamment en nous accueillant régulièrement chez toi : le midi pour déjeuner entre les cours (je pense que nous avons vu l’intégrale de « Ma sorcière bien-aimée » et de « La Petite maison dans la prairie ») mais aussi pour dormir certains weekends quand les parents étaient sortis. Et là, au réveil, je me souviens du son que faisait le presse-orange lorsque tu nous préparais un petit-déjeuner énergisant dont tu avais le secret (aujourd’hui, je continue de m’en inspirer dans les moments de grosse fatigue… et il n’en manque pas…).
C’est qu’il en fallait de l’énergie pour te suivre : pas question de rester enfermés tout le weekend devant la télé ! Direction le bois de Vincennes pour une balade revigorante à base de marche rapide autour du lac de Saint-Mandé, même si de temps en temps, on s’arrêtait pour donner du pain aux canards (bon, il paraît que ce n’est pas terrible de faire ça, mais à l’époque, on ne savait pas, hein ?). La marche est le meilleur des sports disais-tu et j’ai sans doute gardé ça dans un coin de ma tête lorsque je me suis lancé il y a deux ans sur le chemin de Compostelle.
Une fois, il nous a même pris l’idée de traverser le lac gelé pour aller sur l’île qui est au centre. En vrai, j’ai peut-être inventé ce souvenir, mais ce n’est pas grave, ça fera partie de la légende parce qu’aujourd’hui, même si on voulait le faire, pas du tout sûr que le lac soit à nouveau aussi gelé qu’à l’époque…
Nous sommes bien triste, aujourd’hui, Momo, même si tu nous as formellement défendu de pleurer à l’instar du grand Jacques : « J’veux qu’on rit, j’veux qu’on danse, j’veux qu’on s’amuse comme des fous ! ». C’est comme ça ! Les lamentations, ce n’était pas ton truc. Comme tu disais encore il y a quelques semaines : « Je suis dure à la douleur ! ». C’est que ta vie n’a pas été faite que de joies et de fêtes et ne t’a pas toujours gâtée : une enfance marquée par la guerre, ta sœur qui part si jeune, ton mari abîmé et détruit par deux autres guerres.
C’est sans doute pour cela que tu faisais tout pour en profiter au maximum, notamment en parcourant le monde et en nous partageant tes tribulations. Autre image de mes souvenirs, un truc complètement désuet : parcourir tes albums de photos de voyages autour d’un apéritif festif. Ce n’est sans doute pas pour rien que j’aime tant voyager et que je fais tout pour partir dès que je peux et que j’en ai même fait une partie importante de mon métier.
Tu dévorais aussi la culture à pleine dents : expositions, musique, romans, biographies historiques. Chaque fois que nous venions chez toi, nous pouvions échanger autour de tes dernières lectures ou visites et trouver l’inspiration. Avec tous les concerts où je vais aujourd’hui, mon plus grand regret aura de ne pas avoir pu t’emmener à l’un d’eux, même si je sais que tu en a fait des tas et je me souviens d’en avoir fait quelques-uns avec toi, notamment le grand guitariste Lagoya. Pour ce goût de la culture que tu nous as transmis (et qui continuera de nous inspirer), je te dis un grand merci.
Désormais, le temps est venu de te reposer et de te dire au revoir. Tu as longtemps et vaillamment lutté, jusqu’à la lassitude. Cette lutte est à ton image, comme ta décision résolue de ne pas t’acharner. Digne jusqu’au bout. Je suis fier, heureux de t’avoir connu. Merci pour tout, Momo et comme je t’ai dit la dernière fois que je t’ai vu : « À bientôt ! ».